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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Accès aux origines

Par / 20 décembre 2001

par Nicole Borvo

Il y a un mois, nous célébrions la journée nationale des droits de l’enfant dont je me plais toujours à rappeler qu’elle a été instituée sur proposition de notre groupe en 1997.

La convention de New York a douze ans. Elle a été le fruit d’un long cheminement historique, pour faire que l’enfant soit reconnu comme une personne porteuse de droits inaliénables. Faire entrer la convention, pourtant très largement ratifiée, à l’exception des États-Unis et de la Somalie, est un long et difficile parcours, tant les droits les plus élémentaires de trop nombreux enfants sont bafoués chaque jour partout dans le monde. Il n’en demeure pas moins que cette convention a consacré une démarche novatrice qui fera son chemin et qui, déjà incite à l’adoption de nouvelles législations nationales protectrices. Ainsi en est-il du droit à connaître ses origines.

Ce droit est inscrit dans la convention internationale des droits de l’enfant, dans la convention européenne des droits de l’homme, dans la convention internationale de La Haye sur l’adoption. Il est le résultat des progrès de la pédopsychiatrie, qui ont mis en évidence la souffrance des personnes en recherche de leur histoire et la légitimité de leur quête de leurs origines, indissociable de la construction de leur personnalité. Ce parcours fut long et difficile. Il a été longtemps passionné, tant les intérêts des enfants, des parents biologiques et des parents adoptants pouvaient paraître contradictoires et inconciliables. Je me rappelle les débats, ici même, lors de la discussion de la loi de 1996 sur l’adoption : le sujet était présent, mais abordé timidement.

Il n’y a pas unanimité sur les réponses à apporter, et notamment sur le maintien ou la suppression de l’accouchement sous X, mais, comme l’a souligné M. Del Picchia, un consensus s’est dégagé pour aménager et clarifier les règles de droits dans une double optique : concilier les droits des femmes et ceux des personnes à la recherche de leurs origines, et instituer une structure nationale chargée d’intervenir en médiation, d’harmoniser les pratiques et de garantir leur bon exercice.

L’objectif principal de ce projet de loi est de parvenir à un équilibre entre le droit fondamental de l’enfant à connaître son histoire, le droit de la mère et du père de naissance à la confidentialité et au respect de la vie privée, et le droit des familles adoptives à la sécurité de la filiation. Cet équilibre fragile fluctue au gré des évolutions scientifiques mais aussi, disons-le, des contraintes internationales qui s’imposent à notre législation : Tout récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré recevable la requête de Mme Odièvre, qui veut voir lever le secret de sa naissance et avoir accès au nom de ses frères et sœurs. Si cette décision ne préjuge pas le fond, il est néanmoins possible que la législation française soit contrainte à évoluer bien au-delà du texte que nous adopterons ­ « as far as possible » comme le dit la convention internationale des droits de l’enfant.

D’aucuns préconisent l’abandon pur et simple de l’accouchement secret. Certes, le nombre limité des accouchements sous X ­ à peu près 500 par an soit dix fois moins que le nombre d’enfants adoptés ­ et sa diminution, pourraient laisser penser qu’il pourrait être supprimé. Il n’en demeure pas moins que des facteurs comme la détresse sociale, la solitude ou des obstacles culturels difficilement surmontables sont le plus souvent à l’origine de ce choix : l’étude menée sur ce terrain par le service des droits des femmes du ministère de l’Emploi et de la Solidarité est parlante, elle nous dresse le profil de femmes jeunes, d’origine maghrébine pour une forte minorité, sans ressources et célibataires.

Le supprimer ne pourrait donc que favoriser, sinon l’infanticide, du moins l’abandon sur la voie publique, qui loin d’avoir disparu, ont même réapparu dans certains pays européens ­ ce sont les fameuses « boîtes à bébés » ­ au point que certains veulent introduire chez eux la possibilité de l’accouchement secret.

La préservation de la possibilité du secret proposée par ce projet, est bien liée aux conditions de l’accouchement, puisque le texte propose de le supprimer pour les parents qui remettent un enfant de moins d’un an aux services de l’A.S.E., ce que j’approuve.

En revanche, il me paraît très important de modifier la logique de l’intervention publique. J’avais souhaité, lors du colloque sur le droit de la famille organisé par Mme Guigou, alors ministre de la Justice, et vous-même en mai 2000, que le rôle de l’État soit, non pas d’organiser le secret absolu, comme c’était le cas avec l’irréversibilité, mais au contraire de garantir le respect des procédures possibles, que ce soit l’abandon, l’anonymat ou l’adoption, et d’assurer la médiation nécessaire pour ceux qui souhaitent connaître leurs origines. De ce point de vue, votre projet marque une avancée importante : si la possibilité de l’accouchement sous X est maintenue, elle est accompagnée de dispositions précisant dans quelles conditions la personne souhaitant accoucher anonymement peut consigner son identité et est informée des conséquences juridiques de cette demande ainsi que des possibilités qu’elle aura de lever le secret ultérieurement. On s’éloigne donc de la négation des parents biologiques qui était en quelque sorte la négation de la naissance.

Néanmoins, on n’échappe pas complètement au mensonge institutionnalisé puisque la mère peut encore décider de ne laisser aucune trace. Sur ce point, les membres communistes de la commission des Lois ont considéré que l’on pouvait aller plus loin en supprimant l’accouchement anonyme, tout en garantissant le secret de l’identité. Nous avons conscience des objections auxquelles nous nous heurterons, en particulier celle que les femmes qui accouchent dans le secret n’auront jamais suffisamment confiance pour croire que le secret de leur identité sera effectivement préservé, ce qui risque de les conduire à recourir à des pratiques illégales. Mais l’objection peut être surmontée si on met résolument l’accent sur la prise en charge sociale et l’accompagnement psychologique.

Le cas de la procréation médicalement assistée avec donneur rend tout aussi inexistante une partie de l’histoire de l’enfant. En pareil cas, le secret absolu est consacré actuellement par la loi. Je regrette que le débat ne puisse s’engager sur ce point.

La procédure de levée du secret de la naissance retenue par le projet me paraît appropriée. Deux principes sont retenus. Le premier est de laisser à l’enfant seul l’initiative de la recherche. Je me garderai de nier la souffrance des mères qui ont dû accoucher sous X et abandonner leur enfant et qui voudraient revenir sur cette décision. Mais ayons à l’esprit, avant tout, la souffrance indélébile des enfants abandonnés. Aucun d’entre eux n’y échappe. Or, chaque personnalité est unique, en particulier dans sa construction. Pour certains, la quête des parents de naissance est une réponse à leur souffrance. Pour d’autres, ce n’est pas le cas. Personne ne peut décider à leur place.

Le deuxième principe est la nécessité d’un accord exprès du parent pour que le secret soit levé. Certes, l’automaticité de la levée du secret, quand l’enfant le veut ou à sa majorité, est demandée par nombre d’associations. Le sujet est délicat. La connaissance de ses origines est un droit, mais c’est aussi une épreuve pour l’enfant. Il faut réunir les conditions les meilleures, ce qui n’est pas le cas si la mère, les parents d’origine, ne le veulent pas. D’ailleurs, les tenants de l’automaticité l’assortissent d’exceptions, par exemple le viol ou l’inceste. Je pense que le choix fait respecte l’équilibre entre droits de l’enfant et choix des parents.

C’est pourquoi je suis très réservée sur le mécanisme proposé par la commission des lois qui propose, à l’inverse, de poser le principe du non- secret sauf si la mère a manifesté une volonté contraire.

Or, si la C.A.D.A. (Commission d’accès aux documents administratifs) a développé une jurisprudence en ce sens, il faut veiller à ne pas glisser vers la levée automatique du secret, qui irait à l’encontre de l’esprit du texte.

Le sous-amendement proposé par le gouvernement est bien préférable, qui atténue le caractère rédhibitoire de l’absence de manifestation expresse, en prévoyant au préalable la vérification par le C.N.A.O.P. de la volonté du parent de naissance.

La question de la levée du secret après la mort est très complexe. On sent bien qu’elle ne se pose pas de la même manière pour une personne décédée accidentellement et prématurément et pour une personne décédée de mort naturelle à un âge avancé. On a également évoqué le risque d’exhumation des corps, qui n’est pas une simple hypothèse d’école. La commission des Lois propose de postuler l’autorisation de la levée du secret après la mort, sauf volonté contraire exprimée. Pour ma part, je pense qu’il conviendrait d’encadrer plus strictement la levée du secret. Ne pourrait-on prévoir, à l’instar de ce que propose le gouvernement pour la levée du secret du vivant, une vérification du consentement explicite de la personne, de son vivant, par le C.N.A.O.P. ?

L’application du délai de prescription de la loi sur les archives, évoquée par la commission des Lois, offre également une solution.

La possibilité consacrée par le projet de loi, de rechercher le consentement à la levée du secret, si la mère, ou le père, n’y a pas consenti de sa propre initiative est également essentielle. De même, l’encouragement à la collecte d’éléments ne révélant pas l’identité de la personne, me paraît très important. Vous avez donné, madame la Ministre, l’assurance que les décrets d’application seraient rapidement publiés, afin que ne se reproduise pas la situation de la loi de 1996 dont le décret sur les éléments non identifiants n’a toujours pas été pris ! J’aimerais que vous le réaffirmiez.

La création du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, avec pour rôle essentiel la médiation, est une innovation particulièrement intéressante. C’est cette médiation qui doit permettre à l’enfant, en recherchant l’accord des parents, de trouver une réponse satisfaisante à sa demande. Je partage la conception du C.N.A.O.P. retenue par l’Assemblée nationale, et je ne suis pas favorable aux dispositions proposées par la commission des Lois qui remettent en cause l’idée d’un organe centralisateur susceptible d’unifier des pratiques disparates, en donnant aux départements un rôle de collecte et de communication des renseignements.

Le débat d’aujourd’hui montre combien il est difficile de placer le curseur au bon endroit, entre la défense du droit des personnes à accéder à leur origine et le droit des femmes à accoucher dans le secret. J’ai bon espoir cependant que l’on parvienne à un équilibre satisfaisant. Je souhaiterais bien sûr que l’on aille aussi loin que je le propose, mais je suis d’accord avec l’avancée que marque ce projet de loi.

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