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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte, après la loi pénitentiaire, rompt heureusement avec la logique du tout carcéral

Efficacité des sanctions pénales -

Par / 24 juin 2014

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’histoire du droit pénal est en grande partie celle de la répression de la récidive, une histoire jonchée d’échec et qui pourtant se répète.

En France, sous l’Ancien Régime, les anciennes coutumes en vigueur avant les grandes ordonnances royales prévoyaient, par exemple, que l’on essorille – c’est-à-dire que l’on coupe une oreille – le délinquant à sa deuxième condamnation. À la troisième, point de rémission : le voleur était définitivement essorillé pour ne pas avoir entendu ce qui lui était reproché, avant d’être pendu.

La relégation demeure la sanction la plus connue en matière de lutte contre la récidive. Introduite en France par la loi du 27 mai 1885, son objectif majeur était d’éloigner le plus longtemps possible les récidivistes de la ville.

Ces lois partaient toutes de l’idée que les récidivistes étaient incorrigibles, irrécupérables et qu’il fallait les éliminer, du moins les éloigner sans se soucier des suites.

Il n’est malheureusement nul besoin de remonter loin dans notre histoire pour rencontrer de nouveau cette philosophie, laquelle préside encore trop souvent à la rédaction de nos lois pénales. En effet, durant les dernières décennies, les faits divers, terreau de la démagogie, en ont justifié un bon nombre : renforcement des sanctions, instauration de peines planchers, rétention et surveillance de sûreté, mise en place du tribunal correctionnel pour mineurs… Autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique, mais qui, aujourd’hui, ne parviennent pas à masquer un bilan particulièrement négatif, pour ne pas dire désastreux.

Avec ces lois, l’élimination n’est évidemment plus physique, mais sociale. Quant à l’éloignement, il se décline sous la politique du « tout-enfermement ».

Il a toutefois échappé aux rédacteurs de ces lois que notre société a heureusement évolué depuis 1885 et que la plupart des personnes emprisonnées ressortent un jour. C’est en maintenant cette politique du « tout-enfermement », qui plus est dans des conditions peu respectueuses des droits de la personne humaine, que sont fabriqués ces récidivistes et ces exclus, qui sont ensuite montrés du doigt.

Avec ces lois, on s’est contenté d’entasser des individus dans des mètres carrés, de les mettre pour un temps à l’écart de la société. On a empêché leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les a pas carrément brisés par des conditions de détention dégradantes. Là, réside le laxisme !

La fameuse loi pénitentiaire de 2009 – encore bien inappliquée à certains égards, comme cela a été rappelé – mise à part, nous examinons ce soir, pour la première fois depuis longtemps, un projet de loi de réforme pénale qui rompt avec cette politique inefficace, aussi bien par la méthode, à travers la mise en place d’une conférence de consensus qui a permis d’avoir un vrai discours scientifique sur la peine, que par le contenu, lequel résulte de ce travail de concertation.

Ce projet de loi entend prévenir efficacement la récidive et donner un sens à la peine. Pour ce faire, il se donne des objectifs précis : sortir du « tout-carcéral », insister sur la personnalisation des peines, supprimer les mécanismes automatiques faisant échec à l’individualisation des peines et construire un parcours d’exécution des peines efficace dans la prévention des risques de récidive.

Nous approuvons l’ensemble de ces objectifs. J’évoquerai tout d’abord celui qui vise à sortir du « tout-carcéral ».

Vous le savez, le taux d’incarcération n’a cessé d’augmenter – 38 % depuis dix ans –, et le taux de récidive n’a pas pour autant diminué, bien au contraire.

La mesure phare de ce texte, qui défend l’idée que la peine ne doit plus être synonyme de privation de liberté, est la contrainte pénale. Il s’agit d’une peine effectuée en milieu ouvert, entièrement tournée vers le suivi socio-éducatif du condamné. Elle est conçue non comme un mode de sanction moins sévère que la peine d’emprisonnement, comme on peut l’entendre parfois, mais plus efficace, car plus adapté au traitement de la plupart des délits, qui ont, d’ailleurs, été énumérés ce soir.

L’expérience montre qu’une peine exécutée en milieu ouvert peut s’avérer plus contraignante qu’une peine de prison, car elle comporte une obligation de résultat. La personne condamnée sera absolument tenue de suivre les injonctions qui lui seront fixées, in fine celle d’aller de l’avant. En termes de lutte contre la récidive, la contrainte pénale sera plus efficace qu’une peine passive effectuée en prison dans les conditions que nous savons.

Pour que cette mesure soit efficace – ne nous voilons pas la face –, il faut que les moyens nécessaires soient donnés aux magistrats et conseillers d’insertion et de probation, véritables chevilles ouvrières de ce texte. Il faudra aussi qu’un important travail pédagogique soit effectué pour faire en sorte que les magistrats s’approprient rapidement cette peine qu’ils devront distinguer d’autres mesures telles que, par exemple, le sursis avec mise à l’épreuve.

Moyens humains, moyens financiers, sachez, madame la garde des sceaux, que nous serons toujours à vos côtés pour aller en ce sens et que nous ne pouvons accepter le statu quo défendu par certains, selon lesquels les difficultés budgétaires, que nous dénonçons par ailleurs, empêcheraient de faire évoluer la philosophie de notre droit pénal. Il s’agit d’une évolution nécessaire, pour ne pas dire indispensable, en ce début de XXIe siècle.

J’ajouterai un mot sur l’important travail de notre rapporteur qui a permis de nourrir le débat sur ce point.

L’adoption de son amendement – nous y reviendrons demain – permettrait de faire de la contrainte pénale une peine autonome, encourue à titre principal pour une série de délits précisément identifiés, lesquels ne seraient plus passibles d’une peine d’emprisonnement.

Tout comme notre rapporteur, je pense que cette solution permettra d’identifier clairement la contrainte pénale comme nouvelle peine de référence en matière correctionnelle. Nous y reviendrons lors du débat sur les articles, mais je peux déjà dire que la solution préconisée par notre rapporteur a notre faveur en ce qu’elle permet de sauver des geôles destructrices les auteurs de vols simples, de filouterie, ou encore les fumeurs invétérés. (Sourires.)

Il ne nous semble pas que cette décision remette en cause le pouvoir des juges, puisqu’il leur reviendra toujours de choisir ou non de recourir à la contrainte pénale ou à l’amende et d’en proposer l’application.

Tout l’enjeu de la contrainte pénale n’est-il pas justement de créer une peine qui permette d’éviter à ces gens un passage en prison dont nous savons tous qu’il est inefficace et désocialisant ?

En ce sens, admettre que certains faits, de faible gravité, soient punissables d’une contrainte pénale et non plus d’une peine d’emprisonnement ne nous semble pas aberrant. La prévention de la récidive passe aussi par là : cet amendement évitera que de petits délinquants, condamnés à de courtes peines, ne ressortent au bout de six mois endurcis par la prison et prêts à commettre de nouveaux délits, parfois différents de ceux pour lesquels ils avaient été condamnés.

Ce texte porte ensuite l’exigence d’une individualisation de la peine selon la personnalité du condamné. Je ne reviens pas ici sur la suppression de mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation. Vous connaissez la position de notre groupe sur cette question : nous avons constamment défendu cette exigence à travers les propositions de loi que nous avons déposées.

Je voudrais en revanche souligner une innovation majeure de ce projet de loi : la césure pénale. Ce dispositif permettra de ménager opportunément le temps de la réflexion en autorisant des investigations qui aideront à décider de la peine la plus adaptée à la personnalité du condamné et donc de mieux prévenir la récidive.

Je n’ai pas ici le temps de développer l’ensemble des mesures du texte initial, que nous saluons et que nous soutiendrons, auxquelles s’ajoutent celles qui ont été adoptées par notre commission. Et sur ce que le projet de loi ne contient pas, j’y reviendrai au cours du débat. Il nous semble en effet que, sur certains points, le texte aurait pu aller un peu plus loin.

J’évoquerai brièvement la suppression de la rétention de sûreté, aberrante peine après la peine. Ce projet de loi ne pouvait pas faire l’impasse sur cette mesure ; la commission des lois y a donc veillé. Pour notre part, il nous semble désormais indispensable de supprimer également la surveillance de sûreté.

De la même manière, s’il ne s’agit pas de balayer par principe tout ce qui a été fait précédemment, on ne pouvait pas permettre que la justice des mineurs soit oubliée d’un projet de loi relatif à l’individualisation des peines, et qui concerne donc l’ensemble des condamnés potentiels. C’est ainsi que, la semaine dernière, la commission des lois a permis qu’une première étape vers la réhabilitation de cette justice soit franchie, en adoptant un amendement tendant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. On s’en souvient, l’instauration de ces tribunaux, à la veille de l’élection présidentielle, s’était faite sans travail de concertation, et constitua une profonde régression par rapport au principe fondateur de l’ordonnance de 1945, lequel fait primer l’éducatif sur le répressif.

Cette ordonnance est et doit rester la traduction de la volonté de concilier les exigences des principes démocratiques, de la protection de la jeunesse et d’une juste répression de la délinquance des mineurs. Le groupe CRC, qui considère que la priorité éducative n’exclut pas la fermeté, se félicite donc de l’adoption de cet amendement et invite à poursuivre la réflexion sur la justice des mineurs, que les lois successives ont étouffée. Le présent projet de loi manque cruellement d’idées sur le sujet, même si son objet n’est pas de résoudre le problème. Un autre texte sur ce thème est donc attendu.

J’en arrive à mon dernier point. M. le rapporteur l’a indiqué, le présent projet de loi contient des dispositions relatives aux victimes, lesquelles, bien évidemment, ne peuvent être mises de côté. En réalité, je dirai que chacune des dispositions du texte les concerne, car on ne peut s’intéresser aux victimes sans s’intéresser aux délinquants.

Comme l’écrit Serge Portelli, spécialiste des droits des victimes, « victimes et coupables appartiennent à la même humanité. Questionner "l’enfer" de la récidive, se demander qui est […] dans le box des prévenus, c’est aussi aider les victimes. »

L’erreur, jusqu’à présent, a été de vouloir diviser cette humanité. Au gré de l’actualité, de faits qui bien sûr révoltent l’opinion publique, mais qui ne représentent pourtant qu’une petite part de la criminalité, les exclusions ont été renforcées.

En votant ce texte progressiste, nous redonnons aux juges les outils pour penser cette humanité dans toutes ses composantes, pour considérer les délinquants autrement qu’à travers un acte ou une énumération de faits.

En votant ce texte, nous réaffirmons que la peine doit aussi être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. C’est le seul moyen efficace pour lutter contre la récidive, que la peine soit purgée en milieu ouvert ou fermé.

Mes chers collègues, le temps de l’essorillement est bien loin ; il nous faut évoluer, et ce projet de loi, qui a gagné encore en ambition grâce à la commission des lois du Sénat, en est l’occasion. Dès lors, en l’état, le groupe CRC le soutiendra.

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