Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance : question préalable

Par / 24 novembre 2004

par Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Ma collègue Nicole Borvo a eu l’occasion de le dire dans la discussion générale, mais je crois bon de le répéter. Quelle ne fut pas notre stupéfaction à l’annonce de l’examen de cette proposition de loi qui prévoit d’étendre les compétences des juges de proximité.
Pourtant nous estimons, et nous tenterons de vous en convaincre, qu’il n’y a pas lieu de discuter d’un tel texte, d’ailleurs contesté par l’ensemble des magistrats, qui va à l’encontre des principes de notre justice.

Plusieurs arguments viennent appuyer notre propos.

En premier lieu, je tiens à souligner qu’il existait déjà une justice de proximité, incarnée par les juges d’instance. Nul besoin dans ces conditions de créer un nouvel ordre de juridiction afin, soi-disant, de rapprocher les citoyens de leurs juges et de faciliter l’accès à la justice pour les petits litiges. Nul besoin donc d’étendre aujourd’hui les compétences de ces juges de proximité qui, de surcroît, n’ont pas fait leurs preuves. Ou plutôt si : qui ont fait preuve de leur inefficacité.

Depuis leur mise en place il y a un an, les juges de proximité n’ont effectué qu’un très petit nombre de vacations, et ne déchargent pas les juges d’instance de leur travail.
Tout indique, dans les faits, que la création de cette nouvelle justice de proximité est un échec. Nous ne disposons d’ailleurs d’aucun bilan officiel concernant leur activité. Il est notamment impossible d’évaluer en quoi la justice se serait trouvée rapprochée du citoyen, et dans quelles conditions de qualité. Ce seul argument suffirait à rejeter toute velléité d’étendre les compétences des juges de proximité.
Mais nous pourrions ajouter que, si vous aviez annoncé qu’au titre de l’année 2004, les effectifs seraient portés à 600 juges de proximité, il s’avère en réalité que le nombre de juges en fonction à la fin de l’exercice 2004 n’excèdera pas la moitié. Le développement de cette juridiction dans le cadre des objectifs prévus -je le rappelle, 3300 juges de proximité sur 5 ans- n’apparaît donc pas assuré. En tout état de cause, l’extension du dispositif existant est envisagée alors que nous ne disposons d’aucun élément de visibilité sur le fonctionnement des juridictions de proximité.

Cet échec est d’autant plus décevant que la priorité à donner n’était pas de désengorger la juridiction d’instance, contrairement à ce qui était exposé lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la justice.

L’argument avancé par le gouvernement était alors d’offrir une réponse judiciaire à de nombreuses affaires échappant à l’institution judiciaire en raison du coût occasionné par le procès, des démarches trop complexes à engager ou des délais de jugement trop importants.

Les faits contredisent ces propos. Outre le fait que la justice d’instance est facile à saisir, le traitement des affaires dans les tribunaux d’instance est de l’ordre de 4 mois en moyenne : c’est l’un des délais de jugement le plus rapide. Par ailleurs, le rapporteur le souligne lui-même dans son rapport, la procédure applicable devant le tribunal d’instance est simple : les débats sont oraux et les parties peuvent se présenter seules à l’audience.

Alors, pourquoi s’acharner à désorganiser une juridiction qui fonctionne sinon bien, du moins mieux que les autres ? Nicole Borvo a évoqué ce problème tout à l’heure, les tribunaux d’instance voient leur fonctionnement effectivement perturbé depuis la mise en place des juges de proximité.
Pourquoi ne pas faire en sorte d’augmenter les moyens de la juridiction d’instance, juridiction de proximité par excellence ?

Un nouvel ordre de juridiction dite de proximité était de ce fait inutile. Contrairement à ce qu’affirme notre rapporteur, à savoir que la réforme instituant une juridiction de proximité « a permis de répondre au souci ancien, constamment réaffirmé depuis la disparition des juges paix, de rapprocher la justice des citoyens », les arguments soutenus par le gouvernement et la majorité d’une plus grande proximité entre la justice et les citoyens et du désengorgement des tribunaux d’instance ne tiennent pas.

Lorsque l’on examine le décret du 23 juin 2003 relatif à la juridiction de proximité, force est de constater que les sièges des juridictions de proximité coïncident avec les sièges des tribunaux d’instance. D’ailleurs, le greffe de la juridiction de proximité est celui du tribunal d’instance dont elle dépend. Si le tribunal est déchargé, le greffe, lui, ne l’est pas. La démonstration est la même concernant les audiences foraines que peuvent tenir les juges de proximité. Les tribunaux d’instance disposent déjà de cette faculté.

Dans sa configuration actuelle, la nouvelle juridiction s’approcherait de l’idée de proximité par le fait qu’elle concerne effectivement des petits litiges, tant en matière civile qu’en matière pénale. Il convient cependant de nuancer cette notion de petits litiges, 1500 euros représentant une somme importante pour les personnes à faibles revenus. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la somme en jeu est modeste que l’affaire est simple à juger. Ce n’est pas la valeur qui fait la complexité de l’affaire, loin de là.

Le projet d’extension du taux de ressort de compétences de ces juridictions de proximité s’affranchit en revanche de cette dimension.

En matière civile, la somme de 4000 euros ne peut en aucune manière être considérée par la majorité de nos concitoyens comme modique. Sans compter que les justiciables n’auront toujours pas la possibilité de faire appel de la décision rendue.
Le fait d’étendre la saisine de cette juridiction dite de proximité aux plaideurs professionnels en change évidemment la nature. Non, monsieur le rapporteur, je reprends vos termes, la philosophie initiale de la réforme n’est pas conservée. Cette proposition de loi opère un bouleversement considérable en ce qui concerne la protection des droits des citoyens.

Un nombre croissant de particuliers, souvent présents en personne, se trouveront privés de l’équilibre qu’apporte l’accès à un juge professionnel face à des plaideurs institutionnels représentés par un avocat. Il ne s’agit donc plus de répondre aux besoins de justice de personnes ayant a priori une difficulté d’accès à cette institution.

Enfin, l’extension des compétences du juge de proximité fera entrer dans son contentieux un plus grand nombre d’affaires relevant du droit de la consommation, qui sont de plus en plus complexes. Or, le problème est que les juges actuellement recrutés l’ont été soit parmi des professionnels ou d’anciens professionnels sans formation dans ce domaine, soit au contraire parmi des professionnels particulièrement proches des créanciers institutionnels : je pense à des responsables de contentieux ou encore à des huissiers de justice. Pour les uns, la formation actuellement dispensée sera pour le moins insuffisante à leur conférer les connaissances requises. Pour les autres, il est évidemment à craindre que leur impartialité ne soit pas objective pour traiter ce genre de contentieux.

En matière pénale, l’intérêt d’une participation des juges non professionnel aux audiences du tribunal correctionnel serait que ceux-ci aient une légitimité citoyenne. Or, les juges de proximité sont recrutés quasiment exclusivement parmi d’anciens magistrats, avocats, juristes d’entreprises, ou bien encore parmi d’anciens policiers ou gendarmes. Contrairement à ce que soutient la Chancellerie, leur présence dans les formations correctionnelles ne répond pas du tout à la logique d’une participation des citoyens à la justice. Au contraire, la multiplication de leurs interventions, dans un ressort géographique plus étendu qu’actuellement, multipliera les risques de conflits d’intérêts et d’atteinte à l’impartialité.

Par ailleurs, j’estime que permettre à des juges non professionnels de participer à des audiences correctionnelles contrevient à l’article 66 de la Constitution de 1958, selon lequel l’autorité judiciaire est garante des libertés individuelles. En effet, bien qu’ils soient soumis au statut de la magistrature, ils ne sont pas membres du corps judiciaire. Cela nous pose un problème : la frontière est bien étroite entre valider des mesures de composition pénale et prononcer des peines privatives de liberté. Jusqu’où irez-vous dans l’extension des compétences de ces juges en matière pénale ? Nous n’avons aucune garantie de votre part.

Vous le voyez, les conditions sont loin d’être réunies pour envisager d’étendre les compétences de juges dont la création et la légitimité sont extrêmement contestables.

Pendant ce temps, le gouvernement ne crée pas de postes de magistrats supplémentaires et désavoue encore davantage le travail des conciliateurs de justice.

Ces derniers doivent en effet se demander à quoi ils peuvent bien servir. Alors que le gouvernement vantait les mérites de la médiation et de la conciliation lors de la présentation de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, alors qu’il insistait sur le rôle des conciliateurs dans l’apaisement des conflits, un nouvel ordre de juridiction a été crée : pire il est aujourd’hui envisagé d’en étendre considérablement les compétences. L’incohérence est même poussée plus loin : outre que le juge de proximité doit favoriser la conciliation avant de rendre un jugement, il peut, après avoir tenté une conciliation et faute d’accord entre les parties, leur enjoindre de rencontrer un conciliateur. L’inverse n’aurait-elle pas été plus logique ?

Je souhaite insister sur le fait que la contribution des conciliateurs à la justice de proximité est loin d’être négligeable. En juillet 2002, si l’intention du gouvernement était réellement de donner une vraie place à la justice de proximité, il aurait pu s’appuyer sur les conciliateurs de justice qui, depuis plus de vingt ans, ont fait leurs preuves.

Rappelons également que tout juge est conciliateur et que les moyens de la conciliation du tribunal d’instance ne sont pas inférieurs à ceux de la juridiction de proximité.

Ceci renforce notre conviction que cette nouvelle juridiction de proximité est inutile, en plus du fait qu’elle présente des problèmes de fonctionnement que nous venons de décrire dans nos diverses interventions, problèmes qui porte évidement atteinte à la protection des droits des citoyens en matière de justice Il est donc inadmissible qu’après si peu de temps, sans le recul nécessaire, le gouvernement, par l’intermédiaire de parlementaires, propose d’en étendre les compétences.

Les dernieres interventions

Lois Qui va payer les quotas gratuits sur le marché du carbone ?

Adaptation du droit de l’Union européenne - Par / 9 avril 2024

Lois Le nucléaire, quoi qu’il en coûte ?

Fusion de l’Autorité de sûreté du nucléaire avec l’institut chargé de l’expertise sur le nucléaire - Par / 8 avril 2024

Lois Nouvelle-Calédonie : le dégel du corps électoral ne passe pas

projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. - Par / 3 avril 2024

Lois Confisquons les biens criminels

PPL améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels - Par / 26 mars 2024

Lois L’autorité parentale n’est pas automatique

Proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales - Par / 13 mars 2024

Lois Un statut pour que chacun puisse devenir élu

Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local - Par / 7 mars 2024

Lois Un vote historique pour inscrire l’IVG dans la Constitution

Liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse - Par / 29 février 2024

Lois Alerte sur l’habitat dégradé

Projet de loi sur la rénovation de l’habitat dégradé - Par / 27 février 2024

Lois Une colonisation de peuplement en Nouvelle-Calédonie

Projet de loi organique pour reporter les élections en Nouvelle-Calédonie - Par / 27 février 2024

Lois Une boîte noire pour les entreprises ?

Garantir la confidentialité des consultations juridiques - Par / 15 février 2024

Lois Coup de pouce pour les communes rurales

Dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales - Par / 13 février 2024

Lois Protéger les enfants, même des parents

Proposition de loi sur les violences intrafamiliales - Par / 6 février 2024

Lois Action de groupe : la conquête entravée du collectif

Proposition de loi sur le régime juridique des actions de groupe - Par / 5 février 2024

Lois Un maire sans argent est un maire sans pouvoir

Vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales - Par / 25 janvier 2024

Lois Ne pas tomber dans le piège des terroristes

Proposition de loi instituant des mesures judiciaires renforçant la lutte antiterroriste - Par / 23 janvier 2024

Lois Outre-mer : une question de continuité intérieure

Débat sur les mesures du Comité Interministériel des Outre‑mer - Par / 10 décembre 2023

Administration