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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Fiducie

Par / 17 octobre 2006

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Marini, d’inspiration gouvernementale et concoctée de nouveau par M. le rapporteur, a pour objet d’introduire la fiducie dans le droit français et de permettre ainsi le transfert de biens ou de droits du patrimoine d’une personne, le constituant, vers celui d’une autre personne, le fiduciaire, pour le bénéfice d’une troisième, le bénéficiaire.

La fiducie trouve son origine lointaine dans une institution juridique du droit romain. Elle avait alors une triple fonction : la gestion d’un patrimoine pour pallier l’inexistence en droit romain de certains contrats, tels que les contrats de dépôt ou de prêt d’usage ; la transmission d’un patrimoine pour léguer un patrimoine à une personne déterminée, à charge de le remettre à un tiers, mécanisme utilisé pour éviter certains obstacles juridiques à la gratification directe d’un héritier ou légataire ; la garantie d’une créance pour transférer à un créancier la propriété d’un bien qu’il s’engageait à restituer lorsque le débiteur avait acquitté la dette, que l’on peut définir en quelque sorte comme la naissance du gage ou de l’hypothèque.

La fiducie connut encore un certain succès au Moyen Âge, à l’époque des Croisades. Elle permettait aux seigneurs de transmettre la propriété de leur domaine à un tiers, à charge pour celui-ci de le lui restituer à son retour, ou de le remettre à ses héritiers s’il venait à périr en Terre sainte.

La fiducie s’est maintenue quelque temps dans notre ancien droit, sous la forme d’affidiation en matière de libéralités à cause de mort, comme un engagement pris par un héritier ou un légataire de gérer le bien du défunt, puis de le restituer à un tiers. Mais elle a ensuite été totalement ignorée de notre code civil.

La fiducie a en revanche connu un succès considérable dans les droits anglo-saxons, sous la forme de trust.

Le trust est l’acte par lequel une personne transfère des biens à une autre personne, afin que cette dernière les administre ou en dispose d’une manière déterminée en faveur d’un ou plusieurs tiers. Il aboutit à séparer la gestion et le contrôle de biens de la jouissance des profits que ceux-ci procurent. Ce système est largement utilisé dans l’ensemble des pays de common law.

Le droit français, sans pour autant l’institutionnaliser, utilise cependant ce système sous de multiples formes, telles que les fonds communs de placement, ou fiducie-gestion, les fondations, ou fiducie-libéralité, et la cession de créances professionnelles à titre de garantie, couramment appelée « cession-Dailly », ou fiducie-sûreté.

À trois reprises - en 1989, 1992 et 1994 -, le législateur français a tenté d’introduire la fiducie dans le code civil. L’échec de ces réformes peut aisément s’expliquer par la crainte que la fiducie ne soit utilisée comme un instrument de dissimulation fiscale ou comme un outil qui faciliterait le blanchiment d’argent.

Le risque en matière de blanchiment de capitaux existe en effet bel et bien. Il a d’ailleurs été relevé lors de la Conférence des Parlements de l’Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002.

Il était ainsi souligné dans la déclaration finale de cette conférence : « Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l’historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d’ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels l’opacité de certaines entités juridiques - fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite ».

A priori, la proposition de loi prend en compte les préconisations de cette conférence pour éviter tout risque en matière de blanchiment. Les dispositions du code monétaire et financier ainsi que celles du code pénal relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux seront automatiquement applicables. Quant à l’établissement de crédit ouvrant un compte au nom du fiduciaire, il devra s’assurer de l’identité réelle des bénéficiaires et de la licéité de certaines sommes.

Mais si le fiduciaire est lui-même un établissement de crédit, le contrôle sera-t-il vraiment efficient et objectif ?

La fiducie apparaît malheureusement comme un cadre propice à d’éventuels abus en matière de dissimulation fiscale et de blanchiment, rendus notamment possibles aussi longtemps que le secret bancaire ne sera pas levé.

La situation serait la même si la fiducie était étendue aux personnes physiques, comme le souhaite la commission : la tentation serait grande pour les détenteurs de gros patrimoines d’utiliser la fiducie comme un montage financier fiscalement lucratif.

Notre crainte est confirmée par les dispositions du texte selon lesquelles seuls pourront être fiduciaires les établissements de crédit, les sociétés d’assurances ou les entreprises d’investissements.

Plus généralement, que permettra l’introduction dans notre droit de la fiducie ?

Les petites entreprises, qui connaissent des difficultés, seront tentées de confier une partie de leur patrimoine à des organismes financiers, voire incitées à le faire. Le risque est donc réel qu’elles se trouvent littéralement dépouillées de leurs actifs au profit de grands groupes.

Par ailleurs, nous sommes plus que réservés à l’idée que la fiducie puisse être détournée à des fins de tutelle auprès de personnes vulnérables. Bien que non prévue par la proposition de loi d’origine, cette forme plus ou moins parallèle de tutelle était déjà envisagée par M. Philippe Marini dans son exposé des motifs.

La commission des lois a décidé d’étendre explicitement la fiducie aux personnes physiques. Elle estime en effet qu’il n’y a pas lieu d’exclure d’office du dispositif les personnes physiques qui pourraient utiliser ce mécanisme afin de constituer des sûretés ou de gérer leur patrimoine.

Nous sommes, sur ce point, doublement embarrassés.

D’une part, cette proposition de loi, si elle était adoptée dans les termes souhaités par la commission, entraînerait la création d’un substitut de tutelle qui serait exercée par des organismes financiers en dehors de tout contrôle du juge.

Nous ne pouvons bien évidemment souscrire à un tel dispositif. Selon nous, les établissements de crédit ou les sociétés d’assurances ne sont pas les personnes morales les plus compétentes pour apporter un soutien à des personnes vulnérables, qui éprouvent justement de grandes difficultés à gérer leurs biens et leurs relations avec leur établissement bancaire. Un tel mécanisme nous semble donc dangereux pour ces personnes en difficulté et il est pour le moins inadapté.

D’autre part, nous attendons du Gouvernement qu’il nous présente prochainement une réforme du régime des tutelles. Cette réforme est d’ailleurs très attendue tant par les familles et les associations que par le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui demande un examen imminent de ce texte. Quant au Conseil économique et social, il souhaite voir aboutir rapidement cette réforme.

Tous, qu’ils soient concernés de près ou de loin par cette réforme, demandent le renforcement des droits de la personne placée sous tutelle et des contrôles sur ses biens, bref, qu’elle soit replacée au centre du système de protection.

Certes, il n’est pas prévu que la fiducie s’applique aux personnes pouvant relever de la tutelle ou de la curatelle. Néanmoins, le texte risque de déséquilibrer le rapport de force qui existe entre le fiduciaire et la personne physique, au détriment de cette dernière. L’esprit de la présente proposition de loi est fort éloigné de celui qui doit animer la nécessaire réforme du régime des tutelles.

Le dispositif proposé ne présente pas les garanties suffisantes qui permettraient d’affirmer que la personne concernée est protégée contre d’éventuels abus de gestion de la part du fiduciaire. En tout état de cause, ces personnes n’ont pas, par définition, les moyens d’exercer un contrôle sur la gestion de leurs biens, et ce texte ne les protège pas suffisamment.

Notre position est claire : les ambiguïtés du régime de la fiducie tel qu’il nous est présenté nous conduisent logiquement à voter contre cette proposition de loi, largement modifiée par la commission. En effet, ni le texte initial de M. Marini ni celui de M. le rapporteur, même modifié par les amendements du Gouvernement, ne nous satisfont.

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