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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Rétention de sûreté : question préalable

Par / 30 janvier 2008

Ce projet de loi traite, d’une part, des mesures envisagées pour prévenir la récidive de certains criminels condamnés pour des actes particulièrement graves, et qui ont purgé leur peine et, d’autre part, de la manière dont est constatée l’irresponsabilité, pour cause de trouble mental, des auteurs d’actes graves qui ne pourront faire l’objet d’une condamnation pénale.

Quel est le point commun de ces deux situations ? Le concept de dangerosité, sur lequel je m’attarderai quelques instants. Cette dangerosité conduirait à la récidive dans le premier cas, à la répétition d’un épisode malheureux de la maladie mentale dans le second.

Introduire un nouveau concept pénal est une décision grave. La notion doit être rigoureusement définie et correspondre à une réalité objective. Le projet de loi ne s’embarrasse pourtant pas de telles précautions, bien que ce nouveau concept ne soit qu’une « notion émotionnelle, dénuée de fondement scientifique », comme l’a observé la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

En effet, notre système judiciaire se fonde sur des faits avérés, non sur une prédiction incertaine, alors que ce texte ferait reposer la décision du juge sur un diagnostic de dangerosité innée ou acquise, comme si certains étaient naturellement, génétiquement prédisposés à devenir pédophiles par exemple. Pour eux, nul besoin de justice : il suffit de les reléguer au ban de la société. Nous ne pouvons tolérer que l’on prive quelqu’un de liberté sur une base aussi incertaine.

La doctrine qui sous-tend le projet de loi veut que la peine serve aussi à empêcher les crimes « qui pourraient être commis à l’avenir » par des personnes dont on pense qu’elles « continueront de commettre des crimes abominables ». Or, de nombreux travaux montrent qu’un aléa considérable accompagne toute « prédiction du comportement futur ». Que l’évaluation soit faite par deux experts au lieu d’un seul n’apporte pas de garantie scientifique. La dangerosité n’est pas définitive ; elle ne peut être appréciée hors d’un contexte et d’une situation. On ne peut condamner par anticipation !

Pour rassurer le législateur, l’exposé des motifs mentionne plusieurs États, dont les Pays-Bas, qui « disposent déjà de dispositifs comparables ». Or, les principes en vigueur à l’étranger sont très différents. Ainsi, le placement intervient en substitution à la peine aux Pays-Bas, lorsque la personne en cause a été déclarée au moins partiellement irresponsable pénalement. Le dispositif belge est analogue, alors que vous voulez un placement après la fin de la peine, qui plus est sans limitation de durée. Il est vrai qu’une rétention de sûreté postérieure à la peine existe en Allemagne. Mais ce dispositif, issu de l’époque hitlérienne (exclamations au banc des commissions), intervient dans un système pénal bien moins répressif que le nôtre en matière de détention. D’ailleurs, la rétention ne peut y être prononcée qu’après de multiples infractions. En fait, l’article 208 du code pénal russe est le seul comparable au projet de loi français, un collège de magistrats validant l’avis d’une commission médicale pour mettre à l’écart toute personne présentant une dangerosité sociale, notamment politique.

Loin d’harmoniser notre droit avec la législation européenne, ce texte extrêmement répressif établit en filigrane un lien entre dangerosité et maladie mentale, puisqu’il assimile des malades à des délinquants potentiels. Or, la grande majorité des intéressés ne présente aucun danger. Intégrer dans le même projet mesures de sûreté pour les personnes les plus dangereuses et révision de la procédure pénale des irresponsables mentaux n’atténue pas cette confusion. La stigmatisation qui en résulte fait obstacle à l’intégration sociale des personnes atteintes de maladies mentales. Comme une loi de 1990 permet de retenir préventivement les malades mentaux dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui, aucune catégorie juridico-administrative nouvelle n’est justifiée pour les condamnés à quinze ans de réclusion au moins.

Aucune équivalence certaine n’est scientifiquement établie entre état psychiatrique et dangerosité criminelle. Une commission pluridisciplinaire devra se prononcer, alors qu’un psychiatre n’a pas de compétence pour apprécier la dangerosité criminelle ou sociale.

Les exemples étrangers, néerlandais et allemand, auxquels se réfère le Gouvernement montrent que l’évaluation est déterminante. Aux Pays-Bas, elle se déroule sur plusieurs semaines, avec une observation pluridisciplinaire et quotidienne de la personne, placée dans des conditions aussi proches que possible de son mode de vie habituel. Cette expertise coûte 1 000 euros par jour et peut durer sept semaines. En Allemagne, l’expertise est effectuée par des spécialistes bénéficiant d’une formation continue. Or, contrairement à ce qui se passe dans ces pays, votre texte ne comporte aucune garantie en ce domaine, alors que la France manque cruellement de médecins formés à l’expertise et que ceux inscrits sur les listes des cours d’appel exercent sans évaluation de leurs compétences.

Dans leur rapport d’information de 2006, nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier préconisaient la création de centres d’expertise où la personne pourrait être observée pendant plusieurs jours. Votre projet ne s’embarrasse pas d’une telle garantie.

Aujourd’hui, un nouveau seuil est franchi puisque la présomption d’innocence est remplacée par la présomption de dangerosité. La suppression du lien entre infraction et sanction revient à substituer le fantasme au fait. Cette justice de sûreté contredit la notion même de responsabilité pénale.

Cette philosophie de l’enfermement est manifestement contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui proscrit toute détention hors les cas prévus à son article 5. La logique d’enfermement est d’ailleurs clairement revendiquée par le texte, puisque « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus ».

En réalité, la culture du risque zéro, sous prétexte de combattre la récidive, appelle des législations toujours plus attentatoires aux libertés publiques. Quelles perspectives votre loi propose-t-elle aux condamnés ? Ils devront attendre l’issue de leur peine pour savoir si leur incarcération sera poursuivie, mais en ignorant pourquoi et pour combien de temps. Comment mener une politique de réinsertion dans ce cadre ? L’état désastreux des services psychiatriques des prisons limite le rôle des soignants à la distribution de médicaments, souvent de substitution, sans accompagnement des personnes malades. Ce texte aggravera le caractère pathogène des prisons françaises. Fondé sur une notion subjective, il laisse place à l’arbitraire le plus total, sans aucune utilité pour les personnes soignées. Une fois de plus, le Gouvernement choisit le « tout-répressif » et la relégation en faisant l’impasse sur la misère des hôpitaux psychiatriques et des prisons.

Comme lors des précédentes lois répressives, aucune place n’est accordée aux dispositifs d’insertion et de probation. Pourquoi ne pas entamer un suivi médico-social dès le début de l’incarcération ? Pourquoi ne pas placer l’intéressé dans un centre socio-médico-judiciaire dès le début de la peine ? Tant qu’on ne s’occupera du devenir des condamnés qu’à leur sortie de prison, la détention demeurera un temps mort.

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