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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Transposition par ordonnances des directives communautaires

Par / 25 octobre 2000

par Nicole Borvo

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui tend à permettre le recours à la procédure des ordonnances de l’article 38 de la Constitution pour assurer la transposition de directives communautaires et la mise en oeuvre de certaines dispositions du droit communautaire.

Monsieur le ministre, il n’est pas possible de banaliser une telle procédure, qui ne respecte pas les droits de la représentation nationale et prive le Parlement de la possibilité de débattre des sujets contenus dans les cinquante et une directives visées par le projet de loi. Cela ne nous convient pas. Nous avons donc déposé une motion tendant à opposer la question préalable, qui sera présentée à l’issue de la discussion générale par mon collègue Robert Bret, pour témoigner de notre hostilité de principe à ce projet.

A plusieurs reprises, on a évoqué le retard pris par la France en matière de transposition de directives européennes dans le droit français. C’est un fait, notre pays est parmi les derniers au classement en ce domaine. Mais est-ce un argument valable pour recourir à une procédure qui viole le droit imprescriptible au débat sur des questions qui sont loin d’être toutes purement
" techniques ", et pour justifier l’ampleur exceptionnelle de l’habilitation demandée au Parlement ?

A l’évidence, la situation invoquée nous oblige à réfléchir à la mise en place d’une nouvelle procédure d’adoption et de transposition, qui permmette de faire face à l’affuence de plus en plus grande de directives européennes qui appellent une transposition. Nous ferons quelques suggestions à cet égard en défendant la question préalable, et nous espérons qu’elles seront prises en considération.

En tout état de cause, la procédure par ordonnance qui nous est proposée nous agrée d’autant moins qu’elle peut constituer un précédent comme mode de gestion. Une telle évolution serait lourde de dangers pour le fonctionnement de la démocratie dans notre pays.

La France est actuellement présidente de l’Union européenne. Dès lors qu’elle a fait du rapprochement de la construction européenne et des citoyens une de ses priorités, ce à quoi je souscris, nous ne pouvons comprendre le dépôt de ce projet de loi, qui va exactement à l’encontre d’un tel objectif.

Il serait au contraire urgent, dans la perspective d’une démocratisation des institutions européennes, de renforcer les prérogatives et le rôle des parlements nationaux, organes représentatifs des peuples, parallèlement à ceux du Parlement européen. Il est temps de donner enfin aux citoyens des pouvoirs réels d’intervention dans la construction européenne, faute de quoi celle-ci n’ira pas bien loin. L’implication des citoyens dans la construction européenne passe par une information claire et totale sur les textes proposés par Bruxelles, quel que soit le sujet traité.

Or le présent projet de loi ne répond en rien à cette exigence. Les difficultés d’accès l’information concernant les directives, le manque d’explications et de concertation en amont sont caractéristiques d’une opacité qui n’est pas acceptable.

En outre, l’argument selon lequel ces directives devront, de toute façon, être transposées puisqu’elles émanent de Bruxelles, d’autant qu’elles le sont même déjà parfois dans les faits, ne nous convainc pas. L’expérience l’a en effet montré, les débats sur des transpositions de directives européennes ont souvent permis d’y apporter des modifications substantielles par voie d’amendements. C’est pourquoi, notamment, nous sommes attachés à la possibilité de tenir de tels débats.

Nous n’acceptons donc pas, dans la forme, ce projet de loi. Et nous l’acceptons d’autant moins que les directives visées sont loin d’être anodines.

De plus, le projet de loi, au-delà de certaines transpositions ou adaptations liées à ces transpositions, vise aussi des réformes de droit interne non requises par le droit européen.

Certaines directives semblent promouvoir une évolution qui nous paraît positive et qui est acceptée par les acteurs concernés ; je pense en particulier ici à l’article 3, relatif à la refonte du code de la mutualité, qui a été approuvé par les fédérations mutualistes. Mais, en tout état de cause, l’importance de ce type de sujets pour la société implique, par principe, un véritable débat ; cela est d’autant plus vrai que, dans l’exemple que j’ai cité, le statut fiscal des mutuelles n’est pas réglé.

Nombreuses sont, en outre, les propositions qui nous semblent fortement critiquables sur le fond, car elles vont à l’encontre de la conception de l’Europe sociale, démocratique et solidaire que, nous, nous défendons.

Je citerai simplement quelques exemples significatifs qui justifient tout particulièrement notre refus d’habiliter le Gouvernement à transposer les directives communautaires par ordonnances, ces transpositions nécessitant, selon nous, un débat préalable sur l’orientation de la construction européenne, un débat qui doit impliquer l’ensemble des citoyens.

Prenons la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1998 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans.

La Commission européenne a introduit un recours en manquement contre la France pour défaut de transposition de cette directive à la profession de psychologue. Le recours aux ordonnances permettrait de pallier ce manquement de façon très rapide. Mais cela signifie purement et simplement que nous allons vers une harmonisation par le bas du diplôme concernant cette profession, dont l’exercice nécessite actuellement un DESS, soit le niveau
bac + 5, contre un niveau bac + 3 dans d’autres pays européens. Certes, est évoquée la possibilité pour les Etats d’imposer certaines mesures compensatoires, " en cas de différence substantielle de formation ". Mais, outre le flou qui entoure ces mesures, il est évident que l’objectif recherché est l’alignement à terme des diplômes.

Si nous sommes favorables à la recherche d’une harmonisation à l’échelle européenne, nous rejetons une harmonisation prenant le plus petit dénominateur commun comme référence. Or tel est le cas dans l’exemple dont je viens de faire état.

Dans le même esprit, j’évoquerai la directive 96/97 relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale. Sous prétexte de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes, il s’agit, là encore, d’aligner vers le bas le système de protection.

L’interprétation rigide que fait la Commission européenne de ce principe conduit, dans ce cas, à supprimer les avantages particuliers consentis aux femmes et la possibilité de prendre des mesures de protection particulière en leur faveur.

S’il est légitime et nécessaire de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes - ce n’est pas nous qui dirons le contraire ! - cela doit toujours se faire au profit des femmes, qui continuent d’être l’objet de discriminations et d’inégalités. Comme si la Commission européenne l’ignorait ! En aucun cas on ne peut accepter, sous couvert d’application de ce principe, qu’elles perdent des avantages qui leur étaient accordés, alors qu’elles sont loin, pour l’instant, d’avoir gagné l’égalité.

Quant à la directive 94/33 du Conseil du
22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail, elle ne nous semble pas répondre totalement à un souci de renforcement de cette protection. Dans tous les cas, la complexité et les ambiguïtés de son contenu appellent légitimement un véritable débat sur cette question.

Pour ce qui est des neuf directives sur les télécommunications et de la directive postale - très largement contestée - visées dans ce projet de loi, il nous semble particulièrement inacceptable qu’il n’y ait pas de débat sur des sujets qui constituent de véritables enjeux de société.

En n’associant pas le Parlement aux décisions nationales concernant le secteur des télécommunications, le Gouvernement fait notamment l’impasse sur le débat relatif au rôle de l’opérateur public France Télécom en la matière. La position de la Commission de Bruxelles prônant la libéralisation totale et l’ouverture à la concurrence de ce secteur est présentée comme quasiment non discutable.

De même, la directive postale concerne un secteur dont le caractère universel et le rôle sociologique majeur, en lien direct avec la population, appellent un débat national, où les citoyens soient partie prenante ; la mobilisation des citoyens contre la libéralisation de La Poste en témoigne. De ce point de vue, notre opposition sur le fond est d’une nature fondamentalement différente de celle de la commission des affaires économiques du Sénat.

Nous rejetons en effet l’ouverture à la concurrence préconisée par Bruxelles dans ce domaine parce qu’elle mettrait en péril les missions du service public postal, avec ses exigences de péréquation tarifaire, de présence de qualité sur tout le territoire et d’accès de tous aux nouveaux modes de transmission de l’information. Un débat au Parlement permettrait d’améliorer la situation actuelle.

Dans tous ces domaines, qui sont appelés à devenir de plus en plus importants dans notre société, ne devons-nous pas exiger que les citoyens, y compris par l’intermédiaire des parlementaires, soient pleinement associés aux choix à arrêter ? Nous en sommes convaincus. Décret, recours aux ordonnances : comment le citoyen
pourrait-il prétendre participer à ces évolutions fondamentales dans de telles conditions ?

Les mêmes remarques pourraient être faites au sujet de l’article 4, qui concerne l’évolution du secteur autoroutier, et qui va bien au-delà d’une simple transposition. Les réformes proposées auront un impact important sur la vie des citoyens. Je pense, par exemple, à la suppression - envisagée - du principe de gratuité autoroutière ou à la suppression des règles garantissant aux sociétés d’économie mixte la reprise par l’Etat de leur passif.

A travers ces quelques exemples, j’ai voulu montrer que, au-delà de la procédure, nous nous opposons au contenu même de certaines directives. Nous défendons, au contraire de ce qui est proposé, une harmonisation par le haut des normes et des législations sociales.

La dimension citoyenne qu’il faudrait promouvoir dans le processus de construction européenne est indissociable, selon nous, du refus de la libéralisation à outrance qui est aujourd’hui l’un des objectifs majeurs de la Commission de Bruxelles. Quelles que soient les décisions de celle-ci, quelles que soient les directives, le débat au Parlement est toujours utile.

Pour qu’une réorientation de la construction européenne voie le jour et se mette réellement au service des peuples européens, nous revendiquons l’intervention des citoyens, et donc des parlements nationaux, sur l’ensemble des questions européennes.

L’Europe apparaît essentiellement aujourd’hui comme une Europe des technocrates, bureaucratique, très éloignée des préoccupations des peuples. Ce sentiment, qui entraîne légitimement un désintérêt pour les questions européennes
- quand ce n’est pas un rejet pur et simple de l’Europe - est partagé par l’opinion publique en France mais aussi dans de nombreux autres pays de l’Union, en particulier les pays nordiques.

Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il serait opportun que la France, en tant que présidente de l’Union, montre l’exemple, qu’elle prenne l’initiative d’une construction européenne à l’écoute des citoyens, réellement proche d’eux, plutôt que de jouer la " bonne élève " en matière de rapidité dans la transposition des directives ? C’est, en tout cas, ce que nous pensons, nous.

Tel est le sens de notre question préalable, qui manifeste notre opposition résolue à un projet inacceptable à nos yeux. Toutefois, si notre motion est rejetée, nous participerons au débat en défendant des amendements tendant au retrait de certaines directives.

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