Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Un projet de loi qui n’a rien à voir avec l’intérêt des avoués, de leurs salariés et des justiciables
Représentation devant les cours d’appel -
Par Josiane Mathon-Poinat / 21 décembre 2009Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, cette réforme de la représentation devant les cours d’appel nous est présentée comme une question technique concernant un cas bien particulier et appelant des réponses pratiques et circonstanciées.
Or les lacunes et les incohérences qui ont été pointées du doigt lors des débats à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des lois du Sénat, comme l’a rappelé notre rapporteur, montrent qu’en réalité le projet de loi que nous examinons n’a rien d’objectif. Il est avant tout guidé par des intérêts politiques qui n’ont rien à voir avec ceux des avoués, de leurs salariés et du justiciable.
En effet, si l’on juge ce texte du simple point de vue de la méthode, nous sommes obligés de constater l’absence de rationalité et de pragmatisme. Différents éléments laissent assurément penser qu’il a été rédigé en urgence et dans la plus parfaite méconnaissance de la profession visée.
Le courrier envoyé par le cabinet du garde des sceaux est, à ce titre, tout à fait éloquent. Dès la première ligne, il y est écrit que cette réforme a pour objet de rendre plus simple et moins chère notre justice devant les cours d’appel. Or cette affirmation est fausse et totalement récusable.
Si, dorénavant, le justiciable ne devra pas avoir recours à deux professionnels, en revanche, il devra payer une taxe d’environ 300 euros à laquelle s’ajoutera une somme forfaitaire exigée au titre de la simple postulation devant les cours et estimée par le Conseil national des barreaux à environ 800 euros, avec, en plus, une majoration de 20 % pour chaque événement de la procédure nécessitant des diligences supplémentaires.
En somme, faire appel ne sera ni plus simple, ni moins coûteux. Pis, le tarif des avoués, qui autrefois était fixé par le gouvernement, se retrouvera totalement dérégulé. Ce seront donc les justiciables les plus fragiles économiquement qui en pâtiront le plus.
Plus choquant encore, le même courrier affirme avec une certaine fierté que « Madame la garde des sceaux a obtenu dans le budget 380 postes dans les services judicaires auxquels pourront postuler les salariés d’avoués ».
Madame le ministre d’État, 380 postes, dont 19 postes de catégorie A recrutés par voie contractuelle, 139 de catégorie B et 222 de catégorie C, soit plus des deux tiers des postes d’emplois sous-qualifiés et faiblement rémunérés ; 380 postes pour 1 852 salariés, soit un poste pour sept personnes. Cela se passe de commentaires...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Il faut revoir vos tables de multiplication et de division !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Selon la CREPA, la Caisse de retraite du personnel des avocats et des avoués près les cours d’appel, sur 1 852 salariés, 1 687 seraient des personnels administratifs, comprenant 90 % de femmes, souvent seules et ayant des enfants à charge. Ils effectuent des tâches très spécifiques aux procédures d’appel en matière civile ; leur âge moyen est de quarante-deux ans, et 24 % d’entre eux ont plus de cinquante ans.
Or, pour cette catégorie salariale, à la fois moins diplômée et plus spécialisée dans des tâches juridiques propres à la procédure d’appel, la reconversion professionnelle imposée par le Gouvernement sera extrêmement difficile. Au regard de la sociologie de ce salariat bien particulier, d’un certain âge, ayant souvent acquis une longue expérience au sein d’un même cabinet, la suppression de ces postes aurait dû être compensée par un solide programme de reconversion professionnelle. Or il n’en est rien ! Le Gouvernement vient de décider d’octroyer des exonérations fiscales, pendant deux ans, aux cabinets d’avocats qui recruteraient d’anciens salariés des études d’avoués. Au mieux, cela permettra à quelques cabinets de recruter des personnels à moindres frais pour quelques mois, car il ne faut pas escompter que l’ensemble des employés puisse se reconvertir dans les cabinets d’avocats.
D’une part, la saturation du marché a été aggravée par la suppression des tribunaux décidée dans le cadre de la carte judiciaire. D’autre part, la composition salariale d’une étude d’avoués diffère de celle d’un cabinet d’avocats. On compte en effet 4,95 salariés par avoué, contre 0,8 salarié par avocat.
Force est de constater que le Gouvernement a une vision sélective des compensations à délivrer en échange de sa réforme. Le devenir des avoués a été examiné avec une plus grande attention : le projet de loi s’attache à garantir leur reconversion professionnelle, puisqu’ils pourront exercer, notamment, les professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de notaire et de commissaire-priseur judiciaire. La privation de leur droit de présentation sera indemnisée. Cette compensation, qui s’élevait à 66 % de la valeur de leur office dans le projet de loi initial, a été portée à 92 % par un premier amendement du Gouvernement, puis à hauteur de 100 % par un second amendement. Mais pour les jeunes avoués, fortement endettés, le compte n’y est pas ! Ces compensations ne seront sans doute pas intégrales et ne suffiront pas au regard du séisme que va créer cette réforme.
Mes chers collègues, vous comprendrez que nous regrettions également que leurs employés n’aient pas été traités avec la même considération. En effet, malgré les amendements adoptés en commission et visant à une meilleure indemnisation, les dispositifs permettant une réelle réinsertion professionnelle de ces salariés – et non un vague « plan de reclassement » qui les mènera de stages en emplois précaires – restent cruellement absents.
Ce texte ne résout donc rien. Au contraire, il ne fait qu’empirer la situation des justiciables et des personnels de justice. Alors pourquoi imposer une telle réforme ? Le Gouvernement se justifie en s’abritant derrière la directive relative aux services dans le marché intérieur du 12 décembre 2006. Pourtant, différents spécialistes du droit communautaire, dont certains issus de votre majorité, madame la ministre d’État, ont démontré que cette directive excluait les avoués de son champ d’application. Le Gouvernement fait preuve, une fois de plus, d’une conception purement utilitariste de l’Europe. Il est en effet bien pratique de faire endosser à cette dernière la responsabilité d’une réforme impopulaire.
Si l’impératif européen n’est pas en cause, quelle est donc la nécessité de cette réforme ? La suppression des avoués est en réalité une vieille revendication des gros cabinets d’avocats d’affaires parisiens, qui y voient un marché prometteur. Sur le reste du territoire, cette réforme ne fera que rendre encore plus complexe et fastidieuse l’action des tribunaux et le travail autrefois mené par les avoués se reportera sur les services des greffes, déjà totalement engorgés.
Les causes de cette réforme ne sont donc pas celles qui sont affichées. Le projet de loi que nous examinons s’inscrit en réalité dans une politique plus large qui vise à insuffler le « management » dans le service public de la justice, comme le préconisait déjà en 2004 le très libéral Institut Montaigne. Or, sous couvert de « modernisation », ce sont les grands principes et l’architecture d’une justice libre et indépendante qui sont progressivement remis en cause.
Ainsi, en quelques années, toutes les fonctions de la justice ont été touchées : les juges de l’application des peines sont désormais stigmatisés à l’occasion du moindre fait divers impliquant une personne déjà condamnée, alors que des lois de circonstances, dépourvues des moyens nécessaires à leur application, s’amoncellent ; les juges des enfants font l’objet d’une suspicion permanente, alors que leurs possibilités d’intervention en matière d’assistance éducative se réduisent et que les moyens budgétaires en faveur de l’accompagnement des mineurs délinquants sont en baisse ; les juges d’instance, confrontés à une réforme non préparée de la carte judiciaire et à une réforme non accompagnée des procédures de tutelle, ne pourront bientôt plus être ces juges du quotidien, proches du justiciable ; les magistrats du parquet, de plus en plus encadrés et contrôlés dans leur activité quotidienne par une hiérarchie dont les nominations sont chaque jour davantage partisanes, s’inquiètent légitimement de leur avenir ; les juges civils, comme les juges pénaux, soumis à la pression des statistiques, sont invités à gérer des flux, au détriment d’une gestion personnalisée et humaine des dossiers. Enfin, un énième projet de réforme, condamné par la majorité des Français et par le Conseil de l’Europe, prévoit la mort du juge d’instruction, ce qui permettra au pouvoir politique de contrôler encore plus les affaires sensibles ou gênantes pour l’exécutif.
Ajoutons que le budget de la justice judiciaire, déjà l’un des plus faibles d’Europe, stagne. Contrairement aux affirmations de la Chancellerie, les effectifs des magistrats et des fonctionnaires des greffes sont réduits au point d’hypothéquer le fonctionnement normal de l’institution.
Dans ce contexte, la réforme prévue par le présent texte prend tout son sens. Plutôt que d’augmenter les moyens de la justice, le Gouvernement cherche à réduire les droits du justiciable. La nouvelle procédure d’appel qui se profile accentuera l’évolution engagée pour mettre en place une justice à deux vitesses. L’accès au juge d’appel dépendra désormais de la situation de fortune du justiciable, alors que la tarification de l’avoué permettait auparavant un juste et égal accès de tous aux procès devant les cours d’appel. Les amendements que nous avions déposés pour prévoir une plus juste compensation et pour augmenter l’aide juridictionnelle n’ont pas résisté au couperet de l’article 40 de la Constitution, raison supplémentaire pour refuser cette réforme entachée d’inconstitutionnalité.