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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Violence routière

Par / 29 avril 2003

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

D’ici la fin du mois, plusieurs dizaine de personnes seront tuées en France dans un accident de la route et plusieurs milliers seront blessées : à la veille de plusieurs long week-ends, la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la violence routière prend une dimension particulière.

Depuis 1997, la lutte contre le fléau que constituent les accidents de la route est devenue une réelle priorité nationale : en 1999, pour la première fois, était votée en France une loi spécifique à la sécurité routière qui affichait une volonté résolue de ne plus accepter comme une fatalité le triste record de la France en matière d’insécurité routière ; cette loi alliait une répression accrue contre les comportements les plus dangereux - c’est l’institution du délit de très grande vitesse, dont on se souvient d’ailleurs qu’il avait rencontré les plus vives réserves de certains bancs, et la volonté d’agir en amont en développant les actions en matière d’éducation à la sécurité routière et la formation des conducteurs.

L’érection de la sécurité routière en cause nationale en 2000, favorisait une prise de conscience nationale des accidents de la route et une véritable mobilisation de tous les acteurs, publics ou privés, nationaux ou locaux.
Cette irruption dans le débat public est essentielle et il faut s’en réjouir car elle devrait permettre de passer outre les obstacles de nature notamment financière qui subsistent pour enclencher une politique volontariste de réduction du nombre de blessés et de morts sur les routes françaises, j’y reviendrais tantôt.

Signe des temps, la sécurité routière a été un des thèmes importants de la campagne présidentielle de 2002 et l’exclusion des délits routiers de la loi d’amnistie s’est imposée peu à peu comme une évidence. La poursuite des chantiers ouverts sous le précédent gouvernement - qui n’avaient pas reçu toujours un bon accueil- comme la « publicité » faite autour du présent projet apparaît aujourd’hui comme la preuve d’un consensus national autour de la question.

Pour autant ce consensus n’implique pas une lecture univoque des actions à mener en ce domaine. Le présent texte en apporte aujourd’hui l’illustration.
En effet, loin de l’ambition que nous attendions, la lecture du projet de loi a été pour nous source de déceptions et ce à trois titres au moins autour desquels j’organiserais mon intervention.

Première déception : l’instrumentalisation du texte, par le Gouvernement dans un premier temps, par certains députés UMP ensuite. Il en est ainsi bien évidemment de l’article 24 qui remet en cause le principe de l’encellulement individuel que le Parlement dans son ensemble avait largement soutenu il n’y a pas si longtemps ; je regrette particulièrement que la majorité de la commission des lois ait accepté d’en débattre dans le cadre du présent texte et, accepte la logique du Gouvernement en proposant son report à 5 ans.

La seconde disposition en cause est celle qui a trait à l’interruption involontaire de grossesse. Là, du moins en apparence, on apparaît plus « dans le sujet » puisqu’il s’agit, selon les auteurs de la disposition de « combler un vide juridique » qui aboutirait à nier la souffrance de ceux qui perdent un enfant à l’occasion d’un accident de la circulation.

Je ne peux que me féliciter que la commission des lois ait à la quasi-unanimité rejeté ces dispositions. Je regrette néanmoins que cette unanimité ne se retrouve pas dans la rédaction du rapport, bien timoré sur ce point : monsieur le rapporteur, je ne pense pas qu’il s’agit uniquement de « disjoindre » la question ; le sujet est suffisamment grave pour mériter une position de principe forte sur la question. Car, en réalité, ce dont il s’agit, c’est bien de réaffirmer le statut juridique de l’embryon qui n’est pas une personne, toute autre lecture aboutissant de facto à la remise en cause du droit à l’avortement.
Il est de toutes les façons regrettable que ces dispositions aient été introduites dans le présent texte car elles brouillent le message et suscitent la polémique sur un sujet qui devrait nous rassembler.

Deuxième cause d’insatisfaction des sénateurs communistes, républicains et citoyens : l’absence de dimension réellement pédagogique du texte.
Bien que vous vous en défendiez fortement, monsieur (messieurs) le(s) ministre(s), votre texte a une dimension largement répressive, la sanction étant érigée en vertu cardinale de la lutte contre l’insécurité routière
Cette option ressort d’abord de l’intitulé même du projet de loi : « lutte contre la violence routière », choix terminologique rien moins qu’anodin, spécialement dans un contexte d’aggravation généralisée des peines, qui met l’accent sur la dimension répressive par l’identification violence/délinquance On s’attendrait presque à voir M. Sarkozy surgir dans l’hémicycle !

Cette approche se trouve d’ailleurs confirmée par le contenu même du texte qui, par un formidable effet d’accumulation, aboutit à mettre au même niveau de sanction le délit d’inattention en récidive avec les délits les plus graves, telles les agressions sexuelles sur mineurs commises à l’aide d’une arme.
Or, cette option est discutable à plus d’un titre.
D’abord je ne suis absolument pas certaine qu’elle ait l’effet dissuasif recherché. Il est au contraire à craindre qu’elle n’entretienne une véritable « mise à distance » du sujet, peu de gens s’estimant violents au volant, quand ils ne sont considèrent pas très largement comme de bons conducteurs.

Monsieur le ministre, vous définiriez-vous comme violent au volant ? Vous-même monsieur le rapporteur, vous êtes-vous immédiatement reconnu dans ce délinquant visé par le texte ? Je ne le pense pas. Et pourtant, lequel d’entre nous n’a jamais sciemment dépassé une limitation de vitesse, accéléré à un feu orange ou omis d’attacher votre ceinture de sécurité ? Ce sont pourtant ces petites fautes qui sont au cœur du problème, ces petits « accommodements » avec la règle, que chacun d’entre nous faits un jour ou l’autre sans pour autant se sentir réellement délinquant - parce que, invoquons-nous, « ce n’était pas réellement dangereux, qu’il n’y avait personne, qu’il faisait nuit, le trajet n’était que d’une centaine de mètres etc… ».
Car il ne faut pas oublier que la « délinquance routière » a ceci de particulier qu’il s’agit d’une délinquance de masse et que la loi n’a pas seulement pour vocation de s’attaquer à ces criminels de la route qui prennent la route pour des circuits de formule 1, mais à nous tous.
Or pour être efficace, la sanction doit être comprise. Pour être comprise, elle doit être exemplaire. Or, je doute que l’allongement des peines aille dans ce sens.

Certes, la création de délits spécifiques d’homicide involontaire et de coups et blessures involontaires à l’occasion de la conduite d’un véhicule doit être approuvée en ce qu’elle induit une prise de conscience de la part de chaque automobile quant au danger de son véhicule, qui peut devenir une véritable arme - la jurisprudence l’a parfois définie comme telle,
Pour autant, fallait-il allonger la durée des peines de prison encourues, alors que la question aujourd’hui est celle de l’application de la loi, spécialement dans un contexte les tribunaux s’avèrent en réalité très sévères, le rapport le souligne, parfois même avec un soucis d’exemplarité extrême : je pense en particulier au cas du cafetier condamné au bénéfice d’une lecture particulièrement extensive du délit de complicité ?

Que la prison soit nécessaire pour réprimer des comportements directement criminels, cela ne fait aucun doute. Mais ils ne représentent en réalité qu’une faible part des personnes mises en cause à l’occasion des accidents de la route, pour lesquelles le sens de la peine de prison peut être posée : le caractère dissuasif de la prison avec sursis existe mais n’éduque pas ; les stages de formation routière ou en hôpital ou centres de rééducation pour accidentés de la route ont certainement une valeur très supérieure. Mais avons-nous les moyens de les pratiquer à grande échelle ? Je souhaiterais, à ce propos avoir des statistiques précises sur le nombre de TIG prononcés en ce sens.

Même pour certains multirécidivistes la question peut être posée : les arrestations à répétition pour conduite en état d’ivresse n’impliquent-elles pas un réel problème d’alcoolisme que la prison sera impuissante à résoudre ?
Que penser des comportements transgressifs des jeunes, dont on sait qu’ils sont les premières victimes et des auteurs d’accidents routiers ? Pour cette catégorie d’automobilistes, c’est sur la prise de risque qu’il faut agir. Or, de ce point de vue, les solutions offertes par le projet de loi sont bien minces.

Si l’institution d’un permis probatoire est de nature à développer la responsabilisation, il devrait s’intégrer dans un schéma global de travail sur les représentations qui fait encore largement défaut - par préférence avec un cadre pénal ultra-renforcé, qui occulte la dimension psychologique des comportements à risque des jeunes : recherche de sensations, fuite, interrogations sur le sens de la vie, recherche de la puissance, autonomisation…, tels sont les facteurs explicatifs donnés par le psychologue Jean-Pascal Assailly, quant à la surreprésentation des 18-25 ans dans les accidents de la route, qui rendent cette catégorie de conducteurs particulièrement imperméable à la politique de sanctions.

C’est au bénéfice d’une éducation et d’une formation renforcées, qui étaient au cœur de la politique de notre camarade Jean-Claude Gayssot, que nous pourrons faire évoluer ces représentations. Il est de ce point de vue fort heureux que les Comités interministériels du Comités interministériel du 18 décembre 2002 et du 31 mars 2003 aient continué dans cette voie en posant le principe d’une évaluation médicale de l’aptitude à la conduite, le développement des études et recherches pour la prévention des accidents, ainsi que la nécessité d’une éducation routière tout au long de la vie.

Au-delà de l’apprentissage purement « technique » de la conduite, il convient d’innover pour que les règles de la conduite deviennent des règles de conduite au volant. De ce point de vue, nous avons fait un certain nombre d’amendement qui tendent à renforcer l’éducation et la formation des automobilistes tout au long de leur vie ; en particulier le lieu de travail est particulièrement propice à cette formation, tant chez les professionnels de la route qu’en dehors d’eux, si l’on veut bien se souvenir que la majorité des accidents ont lieu sur le trajet domicile-travail.

Toujours du point de vue de la lutte contre les représentations, il convient selon nous de rompre enfin avec cette vision persistante de la voiture comme vecteur de puissance et de vitesse : c’est en ce sens que nous proposons le bridage des moteurs et l’insertion de mentions publicitaires mettant en garde contre les dangers de la vitesse : autant de pistes qui permettraient d’étoffer un projet de loi bien maigre sur le plan de la prévention

Enfin, troisième explication au peu d’enthousiasme des sénateurs de mon groupe : l’absence de vision prospective et globale sur la sécurité routière.
Centrer la lutte contre les accidents de la route sur la responsabilité individuelle du conducteur aboutit en réalité à évacuer une réflexion de fond sur causes structurelles de l’insécurité routière.
Nous aurions souhaité une réflexion décentrée de son aspect pénal pour aborder la question de fond du primat de la route en France, parce que c’est cela qui doit être mis en débat.

Il faut bien avoir conscience en effet que l’objectif « zero mort », tel que pratiqué en Suède, ne pourra être mis en œuvre en France, pays de transit important, tant que nous resterons structurés autour de la route. Pour mémoire, le fret ferroviaire atteignait en 1970 près de 20% de parts de marché ; il ne représente aujourd’hui qu’à peine 8,4% du total des marchandises transportées.

C’est la force de Jean-Claude Gayssot de l’avoir compris qui, tant au travers de la réflexion sur la sécurité des infrastructures que dans son implication en faveur de la liaison Lyon-Turin, avait opté pour un rééquilibrage du rail par rapport à la route, donné la priorité à l’intermodalité , plaidé pour la croissance du ferroutage, du transport combiné, des « autoroutes roulantes ».

Vous le savez, très récemment, la DATAR, dans un rapport intitulé « La France en Europe : quelle ambition pour la politique des transports ? » a de façon très résolue dit la nécessité d’une politique volontariste en matière de transports alternatifs ; en particulier, il y est préconisé de réserver les axes ferroviaires aux marchandises avec la fameuse « Magistrale Ecofret » et d’encourager le développement du transport fluvial et du cabotage.

Une telle option a évidemment un coût qu’il n’est pas certain que le Gouvernement souhaite endosser : le gel de la liaison Lyon-Turin par l’Etat que la région a choisi récemment de dépasser permet malheureusement d’en douter. Et pourtant, le gain en terme de vies humaines, comme du point de vue de l’environnement ne fait aucun doute alors que, comme le soulignait le Livre Blanc de la Commission européenne, « de tous les modes de transport, le transport par route est de très loin le plus dangereux et le plus coûteux en vies humaines ». C’est pourquoi nous préconisons une évaluation régulière des initiatives menées en ce domaine.

En tout état de cause, le texte présenté aujourd’hui est largement décevant et confirme à nouveau l’approche purement conjoncturelle des problèmes par le Gouvernement, dont les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen refusent de se contenter. C’est pourquoi, ils choisiront de s’abstenir.

Sait-on par exemple que les filles qui ont subi des abus sexuels sont également celles qui ont le comportement le plus transgressif au volant, selon une étude validée par l’INSERM ? Pour cette catégorie de la population, la peine de prison aura-t-elle un sens ?

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