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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Votre redécoupage instaure une disparité entre les territoires et remet en cause le principe de l’égalité des citoyens devant le suffrage

Délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés -

Par / 14 décembre 2009

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui ratifier – ou non, d’ailleurs ! – une ordonnance qui a pour conséquence de bouleverser la carte des circonscriptions législatives.

Vous connaissez, monsieur le secrétaire d’État, notre aversion pour ce régime d’ordonnances, dont l’usage est d’ailleurs de plus en plus fréquent et qui grève les droits du Parlement, bien que vous prétendiez améliorer et renforcer le travail des parlementaires. Malgré la contradiction évidente avec vos propos, cela reste cohérent et en tout cas fidèle à la réforme constitutionnelle de 2008, qui ne visait nullement à donner de nouvelles prérogatives aux parlementaires. Les faits nous donnent raison !

Il s’agit pour l’heure des circonscriptions d’élection des députés. Dans sa déclaration en prélude à la discussion à l’Assemblée nationale – il l’a quelque peu rappelée dans son intervention –, M. Alain Marleix affirmait aux députés que la question posée « ne porte évidemment pas sur le tracé de telle ou telle circonscription », surtout si leur propre secteur d’élection est concerné.

Étrange vision de la démocratie que celle dans laquelle les représentants de la nation, telle une simple chambre d’enregistrement, se voient demander d’approuver une décision gouvernementale sur un sujet éminemment politique.

Nous ne contestons pas l’opération de redécoupage des circonscriptions législatives. Nous sommes conscients de sa nécessité, les délimitations des circonscriptions actuelles, établies en 1986 sur la base d’un recensement de 1982, donnant lieu à de grandes disparités et nuisant grandement au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage.

Ce que nous contestons, en revanche, c’est la méthode pour y parvenir.

Tout d’abord, le choix de vous confier cette réforme, monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes l’expert électoral de l’UMP, pose déjà problème. (M. le secrétaire d’État rit.) Ce choix est symboliquement malheureux, mais il est surtout lourd de sens, et il est légitimement permis de douter de l’impartialité du projet quand sa réalisation est confiée à une personne qui est juge et partie.

Il en est de même de la commission indépendante qui a été mise en place conformément à l’article 25 de la Constitution, commission qui devait garantir transparence et impartialité du processus. Or on peut remarquer que certains de ses membres ont assumé d’importantes fonctions politiques dans le passé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela vaut mieux, au contraire !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cela laisse planer une ombre sur la crédibilité d’une telle commission.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas tout à fait juste d’affirmer que l’annonce de la composition de la commission n’a fait l’objet d’aucune critique ! Les personnalités que sont MM. Yves Guéna et Bernard Castagnède ont suscité bien des émois, car leur nomination remettait en cause la stricte neutralité politique qu’exigeait une telle commission.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Celle-ci ne possède certes pas de grandes prérogatives, puisqu’elle se prononce seulement par avis public, mais, de fait, elle n’a modifié qu’à la marge le projet gouvernemental, et j’oserai dire qu’elle s’est contentée de l’entériner.

Ainsi, plus de 90 % des décisions gouvernementales furent acceptées ! Le rôle de la commission fut plutôt d’accompagner le Gouvernement et, sous couvert de consultation, de lui permettre de procéder tranquillement à une véritable manipulation électorale en découpant savamment la carte à son avantage.

M. Guy Fischer. Voilà la vérité !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Or il semble indispensable qu’un tel projet, dont le caractère politique est si marqué, soit confié à un organisme véritablement indépendant, et non à une commission qui n’a d’indépendante que le nom.

Je me fais l’écho des propos de mon collègue député M. François Asensi, qui estime : « Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en place une commission composée d’experts en démographie, sociologie, géographie et statistique qui conçoive un projet de redécoupage, sans être nommée par les pouvoirs en place, tout comme il me semble indispensable de graver dans la loi fondamentale l’obligation d’un redécoupage périodique afin d’éviter les effets d’aubaine pour les partis au pouvoir ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le découpage a pourtant préservé son siège !

Mme Josiane Mathon-Poinat. On ne peut que souscrire à cette proposition de M. Asensi !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas forcément !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous n’y souscrivez pas ? Ce serait pourtant là une véritable preuve d’indépendance !

M. Alain Gournac. Avec des géographes !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Et pourquoi pas des géographes ? En quoi les géographes vous gênent-ils ?

M. Pierre-Yves Collombat. Quels géographes ? La discipline a disparu en terminale !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Il est vrai que l’on parlera peu de géographie ! Et les circonscriptions qui vont être taillées pour les députés de l’étranger valent leur pesant d’or !

Pour que ses prises de positions aient un véritable impact, une telle commission doit de surcroît posséder un certain pouvoir contraignant et non pas donner de simples avis. Mais cela semble vous déranger quelque peu ! (Mme Isabelle Debré s’exclame.)

Quant au Conseil d’État, vous avez, monsieur le secrétaire d’État, jugé inopportunes ses suggestions, qui, selon vous, « relevaient du perfectionnisme ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Or, en la matière, le perfectionnisme est pourtant vivement conseillé, n’est-il pas ? Car il ne s’agit ni plus ni moins que de permettre l’exercice de la démocratie, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui ! Très bien !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Or on est en droit d’attendre le maximum de précisions sur un sujet aussi sensible !

Le Conseil d’État, qui selon vos dires, monsieur le secrétaire d’État, a rendu un avis favorable sur ce projet de loi, voulait ainsi abaisser la marge d’écart à moins de 10 % entre les circonscriptions, dans le but de limiter autant que possible les disparités. C’est sans doute cela qui vous a paru trop perfectionniste, vous contraignant à un redécoupage intégral des circonscriptions électorales !

Il est assez scandaleux d’entendre le maître d’œuvre de cette réforme, légitime et nécessaire, affirmer qu’il ne cherche pas le meilleur système de répartition. Vous semblez, il est vrai, plus soucieux de trouver le meilleur moyen de permettre à votre famille politique de conserver le pouvoir : on peut, hélas, constater qu’en la matière vous avez été plutôt perfectionniste.

Votre réforme se fait donc selon la méthode des tranches, à savoir 1 député pour 125 000 habitants, car vous estimez que c’est celle qui touche le moins de départements. Or cette méthode, qui n’a plus cours dans le monde, ne permet en réalité qu’à servir vos intérêts politiques.

Vous créez onze circonscriptions pour les députés représentant les Français de l’étranger, conformément au nouvel article 24 de la Constitution, et trois pour les collectivités d’outre-mer. Si les collectivités d’outre-mer doivent évidemment être représentées, votre redécoupage ne permet pas une juste représentation. Ainsi, on peut souligner que dorénavant Saint-Martin et Saint-Barthélemy, collectivités autrefois rattachées à la Guadeloupe, disposeront d’un député : rien ne justifie ce choix, sauf peut-être le fait que la population résidente vous est plutôt favorable.

Le projet de loi modifie le nombre de sièges dans 42 départements. Il ne s’agit donc pas d’un simple ajustement de la carte électorale, d’une simple mise à jour : c’est bien une modification en profondeur. Il ne s’agit pas non plus d’une simple réforme technique, comme vous pouvez le laisser croire : c’est bien une réforme politique.

J’ajoute que la création d’une circonscription doit se faire selon la démographie et non selon le territoire. Il n’est donc pas obligatoire qu’une collectivité dispose d’un député, comme l’a d’ailleurs rappelé le Conseil constitutionnel.

L’une des critiques majeures à l’encontre de ce projet de loi est que, conformément à l’article 24 de la Constitution, le nombre de sièges ne connaît aucune augmentation et reste fixé à 577. Cela manque de pertinence, car la population a largement augmenté depuis 1986 et compte aujourd’hui environ 7 millions d’individus de plus !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Nous respectons la Constitution !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Certes ! Et nous ne l’avons pas votée justement parce qu’elle figeait ce chiffre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y avait peut-être d’autres raisons…

Mme Josiane Mathon-Poinat. Il y en avait peut-être d’autres ; en tous les cas, elles se rapprochent le moins possible de la démographie !

Le nombre de députés doit être modulé en fonction de l’accroissement de la population, dans le but de parvenir à une plus juste représentativité.

Cette création enlève de facto des sièges aux circonscriptions de la métropole. Je vous rappelle que même le comité Balladur était en désaccord avec la détermination d’un nombre fixe de députés – sur ce point, nous étions d’accord avec lui !

Était-il opportun de créer aussi des sièges de députés pour représenter les Français de l’étranger, alors que ceux-ci sont déjà représentés au Sénat ? Cette population est doublement représentée, voire surreprésentée, ce qui n’est justifié par aucune logique si ce n’est politique : l’électorat des expatriés étant structurellement acquis à la droite, la création de ces circonscriptions sert de réserve de sièges pour le pouvoir actuel.

Le découpage des circonscriptions des Français de l’étranger n’a aucunement suivi les recommandations du Conseil constitutionnel, selon lesquelles la répartition devait se faire sur « des bases essentiellement démographiques » et respecter « au mieux l’égalité devant le suffrage ».

Il semble bien que, pour ces circonscriptions, les dérogations furent la règle ! La 11e circonscription est à ce titre emblématique : cette circonscription disparate rassemble des pays aussi proches que l’Ukraine, l’Australie et le Bangladesh, soit 51 millions de kilomètres carrés.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils sont plus nombreux dans ces pays, que voulez-vous qu’on y fasse ?

Mme Josiane Mathon-Poinat. Ses dimensions battent tout de même en brèche votre argument selon lequel votre découpage est fait pour faciliter le contact entre l’élu et les citoyens !

Enfin, j’ajoute qu’il suffirait que le vote des Français de l’étranger, qui restent rattachés à une circonscription métropolitaine, soit enregistré au consulat pour qu’ils puissent élire leur représentant au sein de l’Assemblée nationale.

Il est d’ailleurs navrant, monsieur le secrétaire d’État, de voir votre empressement à créer des sièges de députés pour les expatriés, au regard de votre refus acharné, exprimé maintes et maintes fois, d’accorder le droit de vote aux résidents étrangers !

Votre redécoupage instaure une disparité entre les territoires et remet en cause le principe constitutionnellement garanti de l’égalité des citoyens devant le suffrage.

À la lumière des modifications qu’il introduit, on ne peut que constater un certain manque d’impartialité. J’en veux pour preuve que seul un groupe politique en tire profit : le vôtre. Une simple simulation permet de le constater : sur la base des résultats du dernier scrutin législatif, on peut estimer que, en utilisant ce redécoupage, 23 des 33 circonscriptions qui disparaissent concerneraient la gauche tandis que, sur les 33 qui sont créées, 24 seraient gagnées par la droite.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Non, ce sont respectivement 18 et 15 circonscriptions !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nos chiffres divergent !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous oubliez les députés élus au premier tour !

Mme Josiane Mathon-Poinat. J’en ai tenu compte !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Nous en reparlerons, madame !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Assurément, monsieur le secrétaire d’État !

Les circonscriptions représentant les Français de l’étranger sont à ce titre emblématiques : sur les 11 qui sont créées, on peut estimer que 9 vous seraient favorables. (M. le secrétaire d’État semble dubitatif.)

Vous nous expliquerez vos doutes, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On verra !

M. Alain Gournac. Laissez les électeurs choisir, vous serez surprise !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Laissons-les choisir, oui : nous aurons peut-être des surprises, je vous l’accorde.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela arrive souvent !

Mme Josiane Mathon-Poinat. J’ose espérer que c’est effectivement ce qui se produira !

Si le caractère politique du redécoupage est incontestable, vous ne pouvez guère nier qu’il s’agit d’une arme politique non négligeable pour le parti au pouvoir : il peut tranquillement se tailler des circonscriptions sur mesure pour faire élire ses forces, et ce sous couvert d’adapter les circonscriptions à une réalité démographique !

Nous ne cautionnons pas votre affirmation selon laquelle vous avez respecté les recommandations du Conseil constitutionnel. En effet, nous ne voyons pas exactement où vous vous êtes mis en adéquation avec le fait que « la délimitation des circonscriptions ne doit procéder d’aucun arbitraire » et que « toute dérogation doit s’appuyer sur des impératifs d’intérêt général ».

Nous venons de vous démontrer le contraire. Il y a ainsi de nombreux exemples de redécoupage où les principes adossés à ce projet n’ont pas été respectés, et ce dans le but de favoriser l’UMP.

La refonte de la carte des circonscriptions législatives instaure de nouvelles disparités et contrevient donc au principe d’égalité des citoyens devant le suffrage. Il est évident que votre redécoupage ne permet toujours pas que la voix d’un électeur dispose de la même force sur l’ensemble du territoire. Il y a également une inégalité entre les villes et les campagnes au profit de ces dernières qui, on le sait, sont structurellement plus conservatrices. Vous faites donc en sorte de surreprésenter l’espace rural que vous savez plus favorable à votre parti et, contrairement à vos propos, vous ne tenez pas toujours compte des « bassins de vie ».

Pour ce faire, il aurait fallu une réforme beaucoup plus audacieuse que celle que vous proposez, qui ne tend qu’à vous permettre de conserver le pouvoir.

Nous défendons depuis longtemps un mode de scrutin à la proportionnelle, qui semble plus à même de représenter fidèlement l’ensemble de nos concitoyens, d’être une photographie plus pertinente. Ce mode de scrutin écarte le bipartisme qui émousse la démocratie et freine l’abstentionnisme. La parité s’y exerce avec plus d’acuité.

Ce projet n’a donc pour unique ambition que de permettre à la majorité actuelle de se maintenir lors des prochaines élections.

Vous l’aurez compris, nous ne ratifierons pas cette ordonnance.

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